Pour ce mois d'octobre j'ai décidé de partager avec vous un classique de la poésie française, "Paroles" de Jacques Prévert afin de vous le faire découvrir ou même redécouvrir !
Passant tout mon temps accompagné de chansons et surtout à lire et comprendre les paroles des chansons que j'écoute et ce depuis que je suis gamin, je me suis bien vite retrouvé à découvrir des chansons écrites par Prévert comme par exemple "les feuilles mortes".
M'intéressant de plus en plus à la poésie j'ai bien entendu découvert les Baudelaire et les Rimbaud avant de me plonger dans les textes de Prévert. Je dois bien avouer que de base, le mouvement surréaliste n'est peut-être pas celui que j'aime le plus et pourtant... l'effet que me procure la plume de Prévert est bien surréaliste !
En effet, si la poésie est enseignée durant la scolarité en passant par "les fleurs du mal" le plus souvent, peut-être que l'on rendrait service à la poésie en l'enseignant à la génération actuelle à travers Prévert également ! Certes, l'écriture de Baudelaire est indescriptible et riche en sens et subtilité mais ce que je veux dire par là, c'est le fait qu'avec Prévert on comprend bel et bien que la poésie n'est pas quelque chose de ringard, on y retrouve le sens, la subtilité et surtout ce rapport à la vraie vie, ce rapport au quotidien, ce rapport (exagéré) au réel.
À La Découverte Du Recueil
"Paroles" de Jacques Prévert c'est une excellente porte d'entrée pour la poésie ! Une référence qu'il ne faudrait surtout pas manquer de lire par peur du mot "poésie". Paru en 1946, ce livre est la parfaite définition de l'intemporel.
Composé de 95 textes ce recueil nous fait passer par toutes les émotions du poème le plus petit de quatre vers au texte le plus grand qui comporte une trentaine de pages.
Les codes de la poésie sont en réalité bouleversés avec ce recueil : des dialogues, des rimes irrégulières, des vers libres et de la prose... Mais la grande force de ce recueil et de Jacques Prévert c'est sans doute la sonorité qui en découle, ce sens du son, l'utilisation de ce qui ressemble à des refrains, ce qui explique le fait que plusieurs morceaux ont été adaptés en chansons comme Barbara.
Barbara
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t’ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N’oublie pas
Un homme sous un porche s’abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t’es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m’en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j’aime
Même si je ne les ai vus qu’une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s’aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N’oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l’arsenal
Sur le bateau d’Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n’est plus pareil et tout est abîmé
C’est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n’est même plus l’orage
De fer d’acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l’eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
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Faire d'un vocabulaire simple une poésie incroyable. C'est probablement cela qui a de frappant dans ce recueil et dans l'oeuvre de Prévert en général comme c'est le cas dans "Pour toi mon amour".
Pour Toi Mon Amour
Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaines, de lourdes chaines
Pour toi
Mon amour
Et puis, je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
Mon amour
Faire de quelques vers seulement une véritable histoire... En quelques mots nous faire imaginer et voyager. C'est sans doute cela qui est remarquable dans l'exercice de Prévert illustré ici par "Alicante"
Alicante
Une orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et toi dans mon lit
Doux présent du présent
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie
Jouer avec les sens des mots, joueur avec l'imagé, jouer avec la réalité. C'est probablement ce fait de jouer avec la réalité, l'exagération de la réalité qui me freinant le plus mais quand on lit pour la première fois "Pour faire le portrait d'un oiseau" on se rend compte à quel point cela relève du génie !
Pour Faire Le Portrait D'un Oiseau
Peindre d'abord une cage avec une porte ouverte peindre ensuite
quelque chose de joli quelque chose de simple quelque chose de beau
quelque chose d'utile pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi mettre de longues années avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été et puis attendre que
l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
C'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau
La facilité à rendre tout vivant, à procurer une émotion à toute chose et à vous émouvoir sur tout sujet. C'est selon moi, à cela qu'on reconnaît le bon écrivain et bien entendu quand on lit un texte comme "Presque", on ne peut qu'admirer et être fasciné...
Presque
A Fontainebleau
Devant l’hôtel de l’Aigle Noir
Il y a un taureau sculpté par Rosa Bonheur
Un peu plus loin tout autour
Il y a la forêt
Et un peu plus loin encore
Joli corps
Il y a encore la forêt
Et le malheur
Et tout à côté le bonheur
Le bonheur avec les yeux cernés
Le bonheur avec des aiguilles de pin dans le dos
Le bonheur qui ne pense à rien
Le bonheur comme le taureau
Sculpté par Rosa Bonheur
Et puis le malheur
Le malheur avec une montre en or
Avec un train à prendre
Le malheur qui pense à tout …
A tout
A tout … à tout … à tout …
Et à tout
Et qui gagne « presque » à tous les coups
Presque.
Intriguer, questionner, faire imaginer. C'est probablement ce que Prévert arrive à faire avec presque tous ses textes comme dans "Le message". Le genre de texte qu'on peut relire dix fois de suite et s'en faire dix interprétations différentes !
Le Message
La porte que quelqu’un a ouverte
La porte que quelqu’un a refermée
La chaise où quelqu’un s’est assis
Le chat que quelqu’un a caressé
Le fruit que quelqu’un a mordu
La lettre que quelqu’un a lue
La chaise que quelqu’un a renversée
La porte que quelqu’un a ouverte
La route où quelqu’un court encore
Le bois que quelqu’un traverse
La rivière où quelqu’un se jette
L’hôpital où quelqu’un est mort.
Embellir. C'est le mot final qui me vient avec ce recueil. Embellir la vie qui fuit, embellir le temps qui passe comme c'est le cas dans ce magnifique texte, "le bouquet".
Le Bouquet
Que faites-vous là petite fille
Avec ces fleurs fraîchement coupées
Que faites-vous là jeune fille
Avec ces fleurs ces fleurs séchées
Que faites-vous là jolie femme
Avec ces fleurs qui se fanent
Que faites-vous là vieille femme
Avec ces fleurs qui meurent
J’attends le vainqueur.
À Vous De Juger !
C'est sur ces 7 textes que je vous laisse pour ce premier partage et découverte du blog, j'espère que ce que vous avez lu ici vous a donné envie de vous procurer le livre et de le dévorer car ce n'est qu'un petit aperçu de ce qui vous attend ! J'espère aussi et surtout que pour ceux qui découvrent ce livre ou même cet auteur, votre rapport à la poésie ne sera que plus positif, que vous comprendrez que la poésie c'est aussi cette fraîcheur, cette justesse et cette réalité !
J'espère tout simplement que vous avez apprécié ou que vous apprécierez. Moi, vous l'aurez compris, c'est une de mes références dans laquelle j'adore replonger, une des sources les plus précieuses de mon inspiration.
On se retrouve le mois prochain pour de nouveaux partages et découvertes qui seront (presque) aussi bouleversants que celui-ci.
Rendez-vous le 16 novembre.
-MAX-